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« “Emmanuelle”, la plus longue caresse du cinéma français », sur Arte : un retour aux origines de l’érotisme sur grand écran

ARTE – VENDREDI 27 SEPTEMBRE À 22 H 30 – DOCUMENTAIRE
A l’origine, il y eut un livre, Emmanuelle (1959), publié par le frondeur Eric Losfeld (1922-1979), écrit par Emmanuelle Arsan (1932-2005), le pseudonyme de la Thaïlandaise Marayat Bibidh, devenue Marayat Rollet-Andriane par son mariage avec un diplomate français. Selon les uns, elle l’aurait écrit seule ; pour d’autres, il aurait été rédigé à quatre mains, voire exclusivement par son époux.
Au début des années 1970, Yves Rousset-Rouard tente, pour ses premiers pas dans le métier de producteur de cinéma, de « faire beaucoup d’argent avec un petit financement ». Il veut acheter les droits d’adaptation du livre, mais ils sont déjà réservés par les frères Robert et Raymond Hakim, deux grands noms de la profession. Par chance, ceux-ci n’ont pas prorogé la période de préemption. Rousset-Rouard engage Jean-Louis Richard (1927-2012), coscénariste de François Truffaut, et charge de la réalisation le photographe Just Jaeckin (1940-2022), dont il a vu et aimé les images. Le hasard les fait tomber sur la jeune Hollandaise Sylvia Kristel, encore inconnue, « un grand échalas blond » à la fraîcheur et au naturel séduisants.
Aux Etats-Unis, un film hard comme Gorge profonde (Deep Throat, 1972), de Gerard Damiano (1928-2008), est sorti en salle et a attiré un public considérable. La loi française impose encore une représentation plus soft de la sexualité, ce à quoi se tiendra Emmanuelle, qui essaie cependant de rester dans le sillon sulfureux du Dernier Tango à Paris (1972), de Bernardo Bertolucci.
Les producteurs rêvent même que Marlon Brando donne la réplique à Sylvia Kristel : ce sera finalement Alain Cuny (1908-1994), certes aperçu dans Satyricon, de Federico Fellini – sorti pendant l’érotique année 1969 –, mais plutôt associé à l’austère univers de Paul Claudel… Le patronyme de l’acteur (qu’elle juge cocasse à l’affiche d’un tel film) amuse d’ailleurs l’une des intervenantes du documentaire de Clélia Cohen, qui retrace et commente l’histoire de ce long-métrage devenu mythique.
Tourné avec quelques sous en Thaïlande, Emmanuelle, auquel personne ne croit vraiment, sort en juin 1974 : il fera, en première semaine, le double d’entrées du Dernier Tango à Paris, et en totalisera 25 millions après un an d’exploitation. Il restera douze ans à l’affiche d’un cinéma des Champs-Elysées, à Paris, en face même du bureau des frères Hakim, qui auront raté « l’idée du siècle pour une somme dérisoire »…
Yves Rousset-Rouard exploitera encore deux fois le filon (Emmanuelle 2, 1975, et Goodbye Emmanuelle, 1977), puis deviendra le producteur d’un autre grand succès, Les Bronzés (1978), de Patrice Leconte. Son coproducteur ne changera pas de main et poursuivra, avec deux autres volets de la série. Mais, sans Sylvia Kristel, dont « la destinée est de se ranger des voitures et de devenir la salope d’un seul homme », ainsi que le dit en mots crus mais justes l’autrice, actrice et réalisatrice Ovidie.
Sylvia Kristel, morte en 2012, tournera certes pour Claude Chabrol, dans Alice ou la Dernière Fugue (1977), mais elle n’échappera jamais à l’image d’elle fixée par Emmanuelle, où elle aura « libéré les femmes en s’emprisonnant pour toujours », ainsi qu’il est dit en amère conclusion.
« Emmanuelle », la plus longue caresse du cinéma français, documentaire de Clélia Cohen (Fr., 2020, 52 min). Disponible à la demande sur Arte.tv jusqu’au 27 octobre.
Renaud Machart
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